L'hôpital inconnus des blancs
Sauro
Sanou. L’hôpital public de
Bobo-Dioulasso, Burkina Faso. Quand on y
pose les pieds, ou même qu’un seul, on se rappelle que le pays est en voie de
développement. Et franchement, quand on
dit en voie, on veut dire qu’il reste bien du chemin à faire pour arriver à
quelque chose d’humain. Ce qui frappe au
premier abord, c’est le contraste entre la multitude qui s’y trouve et le
silence improbable que la scène dégage.
Les Burkinabè sont réservés; patients. Et ici, entre les murs fatigués de
l’établissement, chacun est trop malade pour émettre un son. Comme il n’y a pas d’aide pour les soins de
base, comme nourrir, doucher, changer les couches, tenir la main, les familles
s’entassent dans la cour intérieure pour suppléer à ce manque. La grande sœur prépare un repas que le
patient n’a plus la force d’avaler, la benjamine nettoie les vêtements souillés
d’incontinences, de sueur et de sang, maman prie, papa est en ville, il la court
en tous sens, en moto, à pieds ou en vélo, pour trouver les produits manquants,
en rupture de stock, à la pharmacie de l’hôpital. Il ira ensuite demander une avance sur son
salaire du mois, visiter les proches susceptibles d’aider, avant de revenir,
fatigué, prendre des nouvelles du malade.
Le
bâtiment, ou plutôt les bâtiments, organisés autour d’une grande cour, sont
sans couleur. Ni blancs, ni bruns, ils
sont simplement usés par le temps et le manque d’entretien. Les quelques arbres dispersés çà et là entre
les barricades qui entourent le lieu, sont figés, jaunes sables, loin des vents
salvateurs qui pourraient nettoyer leurs feuilles de la poussière
accumulée. Dans leurs ombres, les
familles attendent, certains dorment sur une natte, la plupart sont immobiles,
les yeux dans le vague, au sol, des regards tournés vers l’intérieur.
À
l’intérieur, il fait sombre. Mais la
chaleur est tout de même étouffante.
Chaque bâtiment renferme sa spécialité.
Ici, l’urgence, là, la pédiatrie, au bout, le pavillon de médecine et la
maternité, et caché, loin des regards, le pavillon des cinq maladies. Dans chaque chambre, quatre lits. Quatre patients, quatre familles, quatre
destins. Qui cohabitent, discutent à
voix basses, s’encouragent. C’est
l’hôpital, un lieu morbide, mais ça demeure l’Afrique, avec ses salutations,
ses sourires, ses partages. Le tout fait
avec très peu d’effusions, presque en cachette, sur la pointe des pieds. Les patients n’ont pas de droits au Burkina,
c’est un régime de soin totalitaire, les soignants exécutent les ordres sans
explications ni empathie, de manière froide et détachée. Alors on se tait, on se sert la main en
murmurant des paroles pieuses, on se fait invisible, soumis.
Sauro
Sanou, c’est la dernière étape d’un long parcours. Au départ, il y a un homme, une femme, un
enfant. Qui travaille, prépare le repas,
joue dans la rue. Puis qui commence à se
sentir mal. Qui va se coucher, fiévreux. Et ne se sent pas la force de se
relever. La famille viendra aux
nouvelles. Un paludisme? On ira en
pharmacie, ou aux vendeurs ambulants, et on lui donnera le traitement. Les voisins, collègues, amis, tous viennent
saluer, apporter soutien et prières. Il
y a de l’inquiétude bien sûr, mais on ne s’en fait pas trop. Après tout, le palu, c’est commun, tous le
font de temps à autres. Puis le temps
passe, et ça ne va pas mieux. On
augmente les visites à la mosquée ou à l’église, maman va acheter des herbes
médicinales qu’elle fait bouillir et boire au malade. Devant la situation qui se dégrade, papa
pourra aller voir le marabout, chercher à savoir ce qui se passe, trouver le
remède dans une science où les esprits participent autant à la maladie qu’à la
guérison. Tout cela se fait dans la vie,
les enfants qui courent, les moutons qui bêlent, les marmites qui chauffent,
les rires qui fusent encore. On espère,
on retarde, on se ferme les yeux.
Quand
le patient arrive à Sauro Sanou, il ne lui reste plus rien. Il a tout essayé, combattu, il a perdu
espoir. Il se fait accueillir par un
infirmier qui l’engueule d’avoir trop attendu.
Qui le brusquera, prendra sa tension avec mauvaise humeur et lui
pointera du bout du doigt la serpillère, pour qu’il nettoie cette vomissure
qu’il vient d’échapper, honteux. Il
ramassera le dégât, sans laisser une trace, et ira se coucher sur une natte à
l’extérieur du bâtiment, pendant que l’accompagnateur paiera au guichet de
l’hôpital pour la visite et les soins à venir.
À partir de ce moment, cette personne n’aura plus de personnalité, de
singularité. Elle devient un
patient. Elle reste allongée, faible, et
subit, sans mot dire. On l’amènera, sans
se presser, dans cette chambre à quatre, silencieuse, sans enfants ni rires,
pendant que sa famille ira s’asseoir sous l’arbre poussiéreux de la cour, et la sœur nettoiera le pagne souillé.
Commentaires
Publier un commentaire