Le poids du privilège

On est là, toutes les deux, dans cette chambre de Sauro Sauno, l'hôpital qui ne connaît pas les blancs.

Au milieu de cette chambre, elle détonne.  Elle a ce petit quelque chose d’insoumis, de résistant, une dignité qu’elle refuse d’abandonner.  Ça énerve le personnel, méprisant, qui refuse de la toucher en raison de sa maladie.  Ce personnel qui voudrait l’insulter mais se retient.  D’abord parce qu’elle est une patiente personnelle du docteur en chef, et aussi parce que je suis là. Ils ont un complexe certain face à la blanche. 


Moi aussi je détonne, j’y suis habituée.  Être blanc et hors circuit touristique au Burkina, c’est rare.  Je suis la Toubab, la blanche, l’étrangère, une source d’envie, de mépris et d’espoir.  

Pour elle par contre, je suis moi. 

Il y a une tendresse profonde entre elle et moi. Palpable.  Un manque total de convenance pour les coutumes hiérarchiques du pays.  On porte notre amitié comme une revendication, une liberté d’être, en dehors des stéréotypes. 

Elle m'ouvre la porte. Par sa fierté, sa joie, ses moqueries, sa presque impertinence.  Elle en a sincèrement rien à foutre que je sois blanche, canadienne, mieux nantie.  Elle a ce franc parler qui s’applique à tous, et je ne suis pas épargnée. Quand on fait la lessive à la main, je n'échappe pas aux remarques sur la saleté pitoyable des vêtements que j’ai « lavés ». Loin de me déplaire, sa franchise me donne confiance en elle.  Quand elle m’appelle par mon prénom et non pas « Madame », qu’elle réplique ou rit à grands éclats, je ressens une reconnaissance profonde envers elle.  Elle m'enlève le fardeau du privilège.

J'essaie de ne pas penser au différent fardeau qu'elle devrait porter chez moi

 

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